En atelier d’art-thérapie, mon approche est basée sur l’écoute. Pour moi c’est toujours un grand plaisir et aussi un grand étonnement de voir une personne, après un temps de retour sur elle-même, se saisir d’une couleur ou d’une boule de terre et s’investir dans la réalisation de quelque chose. Aussi de la voir mue par une dynamique personnelle, interne et au final être étonnée d’avoir réaliser une œuvre, un dessin, un modelage. Étonnement encore renouvelé quand spontanément ou sur mon invitation, cette œuvre s’ouvre sur des souvenirs enfouis. Parfois sur une prise de conscience soudaine, telle une évidence.
Dans un atelier découverte d’art-thérapie en groupe j’ai en mémoire cette femme qui avait modelé dans le plus grand silence une forme animale. Cette forme faisait penser à un ours. La proposition de départ était de modeler une boule de terre. De se laisser guider par ses mains jusqu’à ce qu’une forme évoque quelque chose pour soi
Le temps impartit achevé elle nous dit: « mais c’est tout moi, ça ! », et elle ajoute : « par rapport à mes enfants je suis comme une ourse qui défend son territoire ». Une évidence s’était faite en elle sans que je ne lui demande autre chose que de prendre une boule de terre et de “voir” ce qui allait sortir de ses mains. Cette prise de conscience à pu l’aider dans ses relations à ses enfants.
A la demande de l’équipe soignante d’une unité de soins palliatifs (USP), je suis intervenue auprès une patiente très affaiblie. Ma proposition de dessiner l’a amusée. Après de temps d’étonnement, elle a longuement dessiné une maison. Sa maison de campagne qui était son lieu de vie préféré. Elle y avait beaucoup travaillé avec son mari. La maladie étant là, grave, elle espérait très fortement pouvoir encore y retourner une fois.
Souvent elle partageait avec moi la description minutieuse des lieux, les couleurs, l’emplacement des arbres, l’inscription dans le paysage. Je l’écoutais et l’encourageais techniquement. Je lui faisait des suggestions graphiques afin qu’elle puisse placer tout ces souvenirs dans son dessin. Nous y avons consacré 4 séances d’une heure par semaine. Le dessin fini, elle le plaça au mur de sa chambre et ne dessina plus. Son état s’est aggravé rapidement, ces mains se sont mise à trembler, sa vue s’est altérée et elle est décédée quelques jours plus tard.
Ce dessin a été, grâce à sa volonté de laisser cette trace, un travail de remémoration de sa vie. En même temps ce fut un travail de détachement qui ne disait pas son nom. Elle savait, son corps savait, qu’elle ne reverrait pas sa maison, mais ça, elle ne l’a jamais dit.
En ateliers d’art-thérapie, mon approche est illustré par ces deux situations cliniques. Elles montrent les deux processus qui constituent pour moi l’art-thérapie. Ils se mettent en marche quand je propose à une personne de s’exprimer avec des média artistiques ; dessin, peinture, modelage, collages pour ce qui me concerne. Mais qui peuvent être aussi théâtre, danse, marionnettes, masques, photo, etc… toutes expressions artistique. Un processus artistique visible donc et un processus personnel invisible.
Je suis attentif à ces deux processus : l’artistique, en m’appuyant sur mon expérience de peintre, de plasticien et de sculpteur. Par exemple, j’apporte conseils et soutiens techniques. Attentif aussi au processus personnel interne de la personne, je suis très attentif à sa gestuelle, sa posture, ses hésitations ou à sa fougue. Je suis également à l’écoute de ce que la personne, en lien avec moi, éprouve le besoin de dire ou pas. Cette écoute et ce lien se font d’autant mieux que je suis sans attente, sans demande, sans a priori. C’est comme si elle avait trouvé en moi un espace dans lequel elle allait pouvoir déposer quelque chose qui lui appartient (Je fais là office de creuset, de réceptacle pour une transformation).
En art-thérapie ce « quelque chose » déposé va provoquer une libération émotionnelle, un soulagement. Parfois on peut en rester là. Cependant il peut aussi être repris par la personne mais repris différemment. Dans cette démarche, ce qui était pour elle douloureux et risquait peut-être de la mettre en danger ne m’a pas affaiblit, ne m’a pas détruit. Grâce à cette résistance de ma part, elle peut donc se le re-approprier, le regarder différemment, l’apprivoiser. Si cela me semble pertinent et en fonction de sa demande, un processus de travail peut se mettre en place par relance de sa capacité créative, alors je lui proposerai un nouveau sujet ou thème de travail et un média artistique différent ou pas.
Dessiner, pratiquer une activité artistique implique physiquement le corps, le met en jeu et permet de communiquer avec des vécus, des ressentis anciens (L’expérience créatrice de l’artiste peut être comparée à celle de l’enfant, « en effet, la création artistique permet, grâce au moyens d’expressions proches du corps qu’elle utilise de façon spécifique, de nous faire communiquer avec nos vécus primitifs ». (Michel Ledoux, Corps et création, Ed. Belle Lettre 1992), une fois identifiés ils sont plus facilement repérables.
C’est ce double espace là que je propose en atelier d’art-thérapie. J’attache beaucoup d’importance à la qualité de ce double espace, mon cadre personnel :